INTERVIEW A 42 ans, Jérôme Laperrière – marié et père de deux enfants – rangera son sifflet nonante minutes et des poussières après l’engagement du derby opposant Lausanne à Xamax ce samedi (17h45). Chez lui à Begnins, l’homme en noir évoque sa carrière et l’arbitrage en général. Entretien.
Jérôme Laperrière, après neuf saisons d’arbitrage dans l’élite, vous avez décidé de mettre un terme à votre carrière. Pourquoi?
L’Association Suisse de Football (ASF) désigne sept arbitres FIFA par année, j’en fais partie depuis le 1er janvier 2006. Pour la saison 2012, l’ASF ne m’a pas désigné. Soit je restais en Suisse pour arbitrer des parties ASF, soit j’arrêtais tout. J’ai choisi la deuxième variante car, pour moi, c’est une rétrogradation de ne pas avoir été sélectionné. Et puis, je n’ai plus de but en Suisse, j’ai tout vécu.
Que vous a apporté cette carrière dans l’arbitrage?
Plein de choses fantastiques, déjà au niveau de l’amitié avec les assistants mais également avec certains dirigeants. J’ai fait beaucoup de pays d’Europe, je suis allé à Hong Kong, aux Etats-Unis, en Afrique, j’ai été arbitre additionnel de Busacca en Champion’s League. J’ai vécu des moments extraordinaires. Si c’était à refaire, je referais la même chose.
Le mois dernier, vous avez arbitré la finale de la Coupe d’Égypte. Racontez-nous...
Là-bas, c’est une pression énorme pour un arbitre égyptien. Les gens repoussent l’autorité et l’homme en noir, c’est l’autorité du football. L’Égypte a donc demandé à la Suisse, pays neutre, de leur envoyer un arbitre et j’ai été désigné.
Le match s’est disputé devant 90 000 spectateurs, tous en faveur de l’équipe locale. J’ai sifflé un penalty indiscutable contre eux et ils ont perdu. On a quand même dû attendre un moment avant de sortir du stade...
Lorsque vous découvrez qu’une décision que vous avez prise s’avérait mauvaise, comment réagissez-vous?
Ça me rend malade, malheureux car je donne tout pour ne pas faire d’erreurs. Par la suite, on analyse pourquoi on a pris cette mauvaise décision et on essaie de ne pas la renouveler.
Ce qui est sûr, c’est que c’est dur à gérer, les attaques de la presse – surtout alémanique avec le «Blick» – font mal.
Vous n’avez jamais arbitré en phase finale internationale ou en Champion’s League. Les arbitres, en Suisse, ne vivent-ils pas dans l’ombre de Busacca (récemment) et de Meier (plus anciennement)?
Il y a des groupes, le meilleur étant le groupe élite. La Suisse ne peut pas avoir deux, trois ou quatre arbitres dans ce groupe. C’est clair que ça bouche des portes quand il y a devant nous des hommes qui y sont déjà. L’important est également l’âge, les notes que l’on obtient en match et les erreurs que l’on fait. Lorsque l’on fait une erreur à 37 ans, ce n’est pas la même chose que quand on la fait à 28 ans... Pour faire une carrière à haut niveau, mieux vaut commencer jeune.
Le rôle d’arbitre est tout de même ingrat, lorsque l’on parle de vous, c’est très souvent en négatif...
On ne va jamais dire que l’arbitre a fait un bon match, cela n’existe pas, mais ça fait partie de notre rôle. Il y a même des journalistes qui n’y connaissent rien et qui nous mettent des notes, je trouve ça scandaleux.
Avez-vous eu de mauvaises relations avec la presse?
Le «Blick» ne m’a jamais aimé! Ils ont même une fois titré: «Die Pfeife der Nation» (ndlr: Les sifflets de la nation) à mon sujet. Cela nous affecte, ainsi que notre famille. J’ai également poursuivi «CartonRouge.ch» en justice pour propos diffamatoires notamment. J’ai gagné et reversé l’amende à l’association des arbitres.
Les arbitres donnent souvent l’impression d’en rajouter au niveau de l’autoritarisme. Le faites-vous?
Ça dépend de la personnalité des gens. Pour ma part, je dois aussi me faire respecter dans la vie active car avant, je travaillais à la police et maintenant, je suis huissier à l’Office des poursuites, c’est pas mal d’autorité. J’ai cette image de quelqu’un de sévère, autoritaire, c’est vrai. C’est peut-être quelque chose que j’aurais dû travailler plus. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas si terrible que ça.
Que pensez-vous de la professionnalisation des arbitres?
En Suisse, on en parle depuis des années et rien ne se fera avant très longtemps. Tout le monde en a besoin, car un travail à 100%, à côté, est impossible à gérer. On a une journée de cours par mois et des obligations en tant qu’arbitres. Cela reste avant tout une passion.
Quel est votre avis sur l’arbitre allemand qui a récemment tenté de se suicider avant une rencontre?
Il n’a pas été désigné FIFA au 1er janvier 2012 et a été élu, dans la presse allemande, plus mauvais arbitre d‘Allemagne. On met tellement d’énergie toute la semaine pour se réjouir du week-end, et puis après on se fait tailler dans la presse, on est discrédités dans notre pays... Ça fait mal, mais de là à faire ça, quand même.
Vous avez arbitré 128 rencontres en distribuant 488 cartons jaunes et 44 rouges. Que vous inspirent ces chiffres?
Cela fait environ quatre jaunes par match et un rouge chaque trois rencontres... Ça me paraît bien (rires).
Quel match a été le plus difficile à arbitrer?
Pour moi, cela a été Bellinzone - Saint-Gall en mai dernier (ndlr: l’homme n’avait pas accordé un penalty indiscutable aux Tessinois dans un match capital pour le maintien). C’était une grave erreur de ma part, je me suis fait détruire ma voiture, mes habits ont été déchirés, mon alliance a disparu. C’était un cauchemar, je regrette cette décision. Si seulement j’avais pu revenir en arrière...
D’autres agressions?
J’avais reçu un briquet du kop bernois durant le match YB-Xamax alors qu’il ne se passait rien: pas de penalties, pas de but litigieux...
Quel est le pire joueur à arbitrer?
Celui qui simule très bien, comme Virgile Reset de Sion à l’époque. Il m’avais bien eu et je lui avais accordé un penalty inexistant.
Votre plus beau souvenir?
J’en ai plein! Un tournoi à Dallas où j’ai pris ma famille, l’ambiance lors de la finale de la Coupe de Suisse entre Sion et Xamax, la «finalissima» entre YB et Bâle.
L’arbitrage vidéo, une nécessité?
Toutes les technologies existent pour savoir si le ballon a franchi la ligne ou non. Je ne comprends pas qu’au moins ça ne se fasse pas.
Pour les fautes ou hors-jeux, il faut voir comment mettre en place le système.
Aux joueurs, vous leur dites «vous» ou «tu»?
On se tutoie et on s’appelle par nos prénoms. Cela se fait car on s’apprécie, je trouve ça sympathique comme rapport.
Quel est le salaire d’un arbitre?
Un match de Super League (SL), c’est 1000 francs, un match de Challenge League (CL), 500 francs. J’arbitre environ deux rencontres de SL et une de CL par mois.
Le meilleur arbitre au monde, selon vous?
J’aime bien De Bleeckere (BEL).
Si vous aviez dû sortir un carton rouge à chaque insulte lors de votre carrière, combien en auriez-vous distribué?
(rires) Autant que de jaunes (ndrl: 488).
Quelque chose à ajouter?
Je remercie le club de Genolier-Begnins et son président Rosario ainsi que ses prédécesseurs pour leur soutien inconditionnel.
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